Citation
« Nous cherchons quelqu’un à accuser de notre sort, que pourtant, la plupart du temps, si nous sommes honnêtes, nous ne pouvons appeler que malchance. Nous nous creusons la tête pour savoir ce que nous aurions dû faire autrement, ou mieux, ce que nous n’aurions peut-être pas dû faire, parce que nous y sommes condamnés, mais cela ne mène à rien. Nous nous disons : la catastrophe était inéluctable, et, pendant un moment, mais pas longtemps, nous nous tenons tranquilles. Et puis nous recommençons à poser toutes les questions depuis le début, et à creuser, à creuser, jusqu’à ce que nous soyons devenus à moitiés fous. À chaque instant, nous sommes à la recherche d’un ou plusieurs coupable, pour que tout devienne supportable, au moins sur le moment, mais, naturellement, si nous sommes honnêtes, nous en revenons toujours à nous-mêmes. Nous avons pris notre parti du fait qu’il nous faut bien, même si c’est la plupart du temps contre notre gré, exister, parce qu’il nous restait rien d’autre à faire, et c’est seulement parce que sans cesse et toujours, chaque jour et à chaque instant, nous en avons à nouveau pris notre parti, que nous pouvons aller de l’avant. Et, où nous allons, si nous sommes honnêtes, nous l’avons su toute notre vie, à la mort, mais la plupart du temps, nous gardons bien de l’admettre. Et comme nous avons cette certitude de ne rien faire d’autre qu’aller à la mort, et comme nous savons ce que cela signifie, nous essayons de mettre à notre service tous les moyens susceptibles de nous divertir de cette connaissance, et ainsi nous ne voyons dans ce monde, si nous regardons bien, que des gens occupés en permanence et toute leur vie à ce divertissement. Cette affaire qui est chez tous la grande affaire, affaiblit et épate naturellement l’évolution qui mène à la mort. »
(écoutez également le premier épisode sur L’Annulaire de Yoko Ogawa)
Citation – La Possibilité d’une île
« C’est une chose curieuse, le désir de connaissances. Très peu de gens l’ont, vous savez, même parmi les chercheurs. Pourtant c’est terriblement important dans l’histoire de l’humanité. On pourrait imaginer une fable dans laquelle un tout petit groupe d’hommes — au maximum quelques centaines de personnes à la surface de la planète — poursuit avec acharnement une activité très difficile, très abstraite. Ces hommes restent à jamais inconnus du reste de la population ; ils ne connaissent ni le pouvoir ni la fortune ni les honneurs ; personne n’est même capable de comprendre le plaisir que leur procure leur petite activité. Pourtant ils sont la puissance la plus importante du monde et cela pour une raison très simple, une toute petite raison : ils détiennent les clés de la certitude rationnelle. Tout ce qu’ils déclarent comme vrai est tôt ou tard reconnu tel par l’ensemble de la population… À ce besoin de certitude rationnelle, l’Occident aura finalement tout sacrifié : sa religion, son bonheur, ses espoirs et en définitive sa vie. C’est une chose dont il faudra se souvenir lorsqu’on voudra porter un jugement d’ensemble sur la civilisation occidentale. »
